Les heures #4

L’heure de notre combat collectif: la vie

L’heure d’être ensemble ca fait du bien même quand il pleut

L’heure de l’ouverture de ses yeux collés chaque matin 

L’heure de nos corps en joie frissonnants

L’heure de cette odeur, la mésange avec laquelle je bois mon café 

L’heure de se réinventer 

L’heure de ne plus détruire

L’heure où la nature n’a jamais été aussi belle

L’heure de lutter collectivement

L’heure d’apprendre, de partager et de progresser sur notre chemin

L’heure de répéter partout bêtement : chercher ailleurs ce qui est vide à l’intérieur

L’heure de cette même perdition collective

L’heure de dépasser ses préoccupations matérielles

L’heure d’allumer notre machine

L’heure de poser une graine

L’heure des repas en famille ou seule mais réguliers

L’heure de se satisfaire un peu plus chaque jour

L’heure d’avoir du temps, de l’espace et de l’amour à partager

L’heure de désirer un nouveau monde

Agathe L.

Les heures #3

Il est l’heure de respirer, 
Au petit matin 

Il est l’heure de laisser venir les pleurs
Il est l’heure de laisser surgir la peur

Et dans le grand mouvement d’aile
Noire
De la pie qui s’envole
L’oeil curieux 

Il est l’heure de laisser vivre l’espoir 

Noëllie G.

Tout dire! #2

Tout dire ! Tout parler ! Oser ! Tout écrire ! Tout échouer ! Oser tout rater !  

Le confinement ? Ça ne doit pas être la fin du rêve. Je refuse de porter l’uniforme cérébral qu’on fait mettre de force à 4 milliards d’humains. Une camisole sanitaire qui m’arrache mes envies, celle d’un jour où de toujours, l’important c’est de désirer et ne pas arrêter de ressentir l’interrogation. Seulement voilà leurs interrogations je m’en fous, je me rends fou !

Je n’ai pas envie de porter la responsabilité d’une pandémie mondiale, pourtant disent-t-ils, c’est notre responsabilité à tous de respecter les consignes.  Mais les cons qui signent sauvent-ils vraiment des vies ? Nous avons autre chose à offrir que notre isolement. Si le moyen de continuer à vivre c’est de vivre seul et empêché, je dis NON. 

Je respire avec mes désirs et ce n’est pas le virus qui m’étouffe. « Docteur vous me restreignez, moi je m’autorise. »  Il avait donc raison ce patient. Autorisons-nous ! Je me demande ce qu’ils en ont fait de ceux qui n’ont pas pu s’échapper de l’institution. L’institutrice insistait sur l’importance du savoir vivre ensemble, je ne veux pas vivre comme vous Madame ! Pas de méthode donc. J’accepte l’inconnu de la destination volontiers, c’est ça le charme Madame !

On peut toujours sourire mais derrière un rideau. A quand la fin de l’entracte, je veux voir la suite. Rideau blanc, alors pourquoi on se déclare la guerre ? Il me reste un sourire, le plus beau et le plus doux, c’est assez pour prolonger l’apnée mais on ne s’est pas destiné à vivre sous l’eau. 

Antoine T.

Mon printemps confiné

Assis sur une chaise longue dans mon jardin, je vis le confinement en ce début de printemps. Le temps que j’ai à disposition ne me semble pas du tout long, j’ai plein de choses à faire comme compter les brins d’herbe de ma pelouse :

Un brin, deux brins, trois brins…

Dans un coin de mon jardin, des petites fleurs poussent. Je n’ai pourtant rien semé. La nature m’a offert une palette de plantes sauvages de toutes les couleurs : des pissenlits, des primevères, des pâquerettes, des perce-neiges, des violettes et encore plein d’autres dont je ne connais pas le nom mais j’en prends plein les yeux : du jaune, du blanc, du rose, du bleu, du violet posés en désordre sur un fond vert éclatant. Je suis content qu’il y ait majoritairement du vert, c’est ma couleur préférée.

Quatre brins, cinq brins, six brins…

Dans le deuxième coin de mon jardin, une table sur laquelle sont posé un ordinateur, une tablette, un verre et une bouteille d’eau. La situation nous force à rester à la maison avec ce temps qui reste beau et devient de plus en plus chaud : c’est pourquoi il faut toujours bien s’hydrater. Je me dis la situation n’est pas facile mais qu’on a tellement de chance de vivre ici. Dans onze minutes, j’ai rendez-vous pour une vidéo conférence avec mes élèves ; il faut continuer à leur apprendre des choses mais surtout j’ai envie de savoir comment ils vont. J’espère ne pas perdre le compte…

Sept brins, huit brins, neuf brins…

Au milieu de mon jardin, un grand arbre touffu avec une, deux, trois… un certain nombre de feuilles. Je suis content, j’ai encore trouvé une autre chose à faire lorsque j’aurai fini de compter les brins d’herbe de ma pelouse. Cet arbre sert de maison à de nombreux oiseaux différents… Certains sont beaux, certains chantent bien, certains me dérangent quand j’essaie de faire la sieste mais au fond je les aime tous. L’autre jour, j’ai fait la conversation en sifflant avec l’un d’entre eux. Je n’ai rien compris à ce qu’il me disait mais une chose est sûre, on s’est bien amusé tous les deux.

Dix brins, onze brins, douze brins…

Dans un autre coin de mon jardin, un tapis de sport, une corde à sauter, des raquettes de badminton. Pour pouvoir profiter pleinement de l’apéro du soir, il faut avoir fait brûler un peu de la réserve qui recouvre mon corps. Je ne fais pas de calcul précis mais j’aimerai avoir compte nul ou négatif entre calories consommées et dépensées. Certains jours, les courbatures, la chaise longue, le lit et le canapé s’allient pour m’en empêcher mais heureusement les collègues, les amis et ma copine se relayent pour m’accompagner dans mes exercices de routine.

Treize brins, quatorze brins, quinze brins…

Dans le dernier coin de mon jardin, un petit muret de pierre. Si on s’approche, on peut voir la vie grouiller : des gendarmes se baladent, ils apparaissent et disparaissent, parfois même ils s’accouplent ; on dirait alors deux insectes collés l’un à l’autre par l’arrière : s’engage alors un combat pour savoir qui va dans le bon sens. Les fourmis, pourtant réputées si organisées et travailleuses, ne sont pas du tout alignées, au contraire, elles partent dans toutes les directions dans un chaos vraiment très loin d’être orchestré.

Ça y est, j’ai encore perdu le compte mais au fond est-ce vraiment si important ? J’aurai le temps de recommencer demain ou après-demain ou après-après-demain. Le confinement est loin de se terminer et ça n’est pas pour me déplaire.

Quôc Anh B.

Les deux Chantal

J’ai deux amies qui me sont chères. Toutes les deux s’appellent Chantal.

Chantal D. est partie avec son mari fin février dans une station balnéaire chic de la Côte Est des États-Unis.

Son appartement fait face à la plage et à l’océan.

Aujourd’hui, les plages sont interdites. Ils ne savent pas quand ils pourront rentrer.

Chantal m’a dit que les armuriers ont été dévalisés bien avant le papier-cul.

En mai 1970 nous avions dansé tout un après-midi dans ma petite chambre du Grammont 2.

Quand vas-tu te décider à parler d’amour… chantait Sandie Shaw sur mon tourne-disque portatif. Nous dansions sans répit dans la chambre surchauffée.

Nous étions tellement heureuses.

Le lendemain, Chantal D. avait contracté la varicelle. Elle avait treize ans et je n’ai pas pu la voir pendant trois semaines.

Chantal B. habite depuis deux ans avec son deuxième mari à Montpellier.

Leur appartement fait face à la grande poste et leur rue porte le joli nom de Rondelet.

Aujourd’hui, il y a le couvre-feu à Montpellier. Chantal et D. lisent beaucoup.

J’ai connu Chantal B. dans un petit village cévenol. Nous venions d’y acheter une bergerie. 

Elle vivait dans un grand mas avec R. et leur petit garçon de 2 ans. 

L’été suivant, en 1985, elle a eu un second fils et c’est le premier bébé que j’ai tenu dans mes bras.

Sur la photo, on me voit assise au bord du Gardon avec le petit C. tout serré contre moi.

Carine B.

Tout dire! #1

Tout dire ! Tout parler ! Oser ! Tout écrire ! Tout échouer ! Oser tout rater !

Le confinement ?

Des angoisses inutiles !

Une amplification des problèmes anodins !

Une excuse pour ne rien faire !

De l’ennui et du temps perdu !

Un sentiment d’échec, de la pression sur soi-même, l’envie de faire bien, de faire mieux mais c’est une quête infinie et on a trop de temps alors on y pense et on fait une montagne de chaque détail qui semble aller de travers

Du temps à ne plus savoir qu’en faire, mais on sait ce qu’on pourrait en faire, ce qu’on « devrait » en faire, et on ne le fait pas, même si on a le temps, parce qu’avoir le temps ne suffit pas, alors on se sent mal et c’est l’échec et on fait encore moins avec le temps qu’on a

Tu préfères : 

rater ton confinement parce que tu n’as rien réussi à en faire de constructif, de valable, de gratifiant

ou

rater ton confinement parce que tu as travaillé comme un acharné, poursuivi par l’angoisse de rater ton confinement

?

Louise B.

Les heures #2

L’heure du réveil des sensations, bien avant celles d’ouvrir les yeux

L’heure du premier sourire, des mains enchantées et du plaisir d’être à deux

L’heure où on ne se souvient pas encore de la veille 

L’heure des chorégraphies du matin et des notes d’instruments de café

L’heure des aurevoirs à nos désirs inconscients tout juste devinés

L’heure où on a encore le temps de ne pas faire

L’heure des idées nouvelles et du choix de caractère

L’heure des détails qui comptent et de l’horizon qui donne l’humeur

L’heure où il fait bon de t’aimer et de décider ensemble

Antoine T.

En attendant devant la Migros

X. Tu es sûr que c’est ici ?

Y. Quoi ?

X. Qu’il faut attendre. On m’a dit d’attendre devant l’arbre, y en a-t-il un autre?

Y.  Un autre arbre ? Non, il n’y en a pas d’autre.

X. Merci. 

(un temps )

X. Quel est ton nom ?

Y. Elle m’a appelé Vladimir, en souvenir d’un oncle russe je crois. Et toi c’est « un » ou « une » qui t’a nommé ?

X. C’est « un », il est cuisinier, latino, il m’a appelé « Estragon » prononcé à l’espagnol c’est plus féminin, paraît-il. 

( un temps )

Vladimir – C’est ton premier jour à attendre devant la Migros ?

Estragon – Oui, je dois dire que je suis un peu impressionnée.

Vladimir – T’en fait pas, ça m’a fait ça aussi mais on s’habitue. ( un temps )

Estragon – Il se fournissait sur les marchés alors là aussi il faut attendre, il faut attendre, répète-t-il.

Vladimir – Il y a du monde aujourd’hui, la file n’avance pas beaucoup.

Estragon – Je fais confiance à ton expérience

Vladimir – Quoi qu’il arrive, je suis heureux que la file avance lentement.

Estragon – Pourquoi ?

Vladimir – Parce que cela nous a donné l’occasion de se rencontrer et d’en profiter un peu.

( un temps )

Estragon – Oui c’est vrai, c’est bien.

Estragon – Tu es venu souvent ?

Vladimir – Un jour sur deux à peu près. Depuis ce qu’ils appellent le début du confinement.

Estragon –  Toujours en matinée ?

Vladimir –  Oui, sauf une fois où nous sommes venus dans l’après-midi.

( un silence semble s’installer )

Estragon – Tu as l’air troublé.

Vladimir – Oui un peu. Ce jour là, il y avait une folle, comme l’a qualifiée ma maîtresse à plusieurs reprises. Elle s’approchait de chaque personne dans la file en vociférant. Même le Sécuritas à l’entrée semblait dépassé par la situation.

( un temps )

Estragon – Tu as eu peur pour ta maîtresse ?

Vladimir – Oui, les humains sont plus menacés.

 Je la sens fragile malgrès les apparences qu’elle essaye de sauvegarder.

Estragon – Elle te sort combien de fois ?

Vladimir – Deux fois. Parfois trois quand elle est en forme avec suffisamment de courage, d’optimisme. Et toi ?

Estragon – Trois fois par jour il me sort. 

Mais pas loin, pas longtemps. Et on ne s’attarde pas avec les autres. Ni les gens ni les chiens.

 ( un temps suspendu )

Vladimir – Tu penses que vous reviendrez un matin ?

Estragon – Je vais m’arranger pour qu’il en soit ainsi.

Le voilà qui arrive. Il n’a pas trouvé tout ce qu’il cherchait. Portez-vous bien, on se verra après demain.

Vladimir – La journée de demain va être longue.

 Je vais dormir beaucoup.

 Prends soin de toi aussi.

Christine G. de Nyon, confinée à Genève

Le garage

D’abord il rappelle l’histoire. Celle d’un rêve vite épuisé de faire ensemble et de partager l’espace. Séparé en deux originellement par ses deux portes et par l’estrade de l’étage supérieur, ce sont nos désirs et nos peines qui le divisent aujourd’hui. Chacun respecte la fonction et l’espace qui a été attribué dans un éternel non-dit de notre inconscient collectif que personnes ne semble vouloir interroger. Pourtant il est bourré de trésors et d’indices. Si nous ne voulons plus vivre ensemble, nous ne pourrons pas empêcher l’expression de nos sentiments. Certains diront le hasard, mais pourquoi ne pas donner un sens au hasard à un moment où il est impossible de donner un sens à ce qui arrive au monde.

 A droite quand on lui fait face, à gauche quand on regarde vers la sortie : l’étage supérieur. Les deux pianos à queue contre le mur sont des vestiges des anciens habitants de cette maison, imposants, insoulevables, désaccordés plus personne ne joue de cette musique. Mais ils sont là pour nous dire qu’on ne peut pas effacer l’empreinte des anciens. Puis il y a la fenêtre par laquelle passe les chats qui cherchent refuge, personne ne veut de chats mais personne ne veut fermer cette fenêtre, chacun se rassure de son empathie et son humanité comme il peut. Sous cette fenêtre, les tréteaux et le plan de travail de jardinage de M. Si l’étage inferieur est son donjon, sa main verte le guide vers des zones plus fertiles à l’élaboration de la vie. Dernière incursion de ce lutin dans notre couple qui n’oserait pas s’y aventurer portes ouvertes. Deux pianos, deux vélos, des paires de poids et un matelas king-size. Deux tréteaux, comme la chanson des vieux amants, toujours debout prêt à accueillir sur leur union la plantation d’une graine. Enfin reste un espace revêtu d’une couche plus souple, plus tendre et plus accueillante que le gravier et la poussière ambiante ; qui d’ailleurs revient de manière anonyme et incessante. A chaque ouverture de la porte il faut d’abord faire l’aveu que ce revêtement a été sali d’une manière si évidente et exposée qu’il est impossible de ne pas y voir l’expression d’une agressivité passive. Mais c’est après qu’intervient le sadisme du profanateur puisqu’après avoir salit le lieu du plaisir futur il nous oblige à balayer encore et encore les traces de sa présence. Heureusement que le balai rouge agit comme une flûte enchantée et nous permet de reprendre notre danse et déposer quelques gouttes de sueurs des efforts partagés. Pour finir quelques cartons, remplis de dons qu’on ose faire qu’à moitié mais qui finissent par s’en aller en même temps que les souvenirs qu’ils gardent.

 L’étage inférieur, lui, m’est moins familier tant l’envie de s’en servir s’est éteint aussi vite que la mutation de sa fonction s’est opérée. Remplis de vieux canapés rapportés de notre appartement, il accueille l’ivresse et la fumée d’interdits qui cherchent refuge. Souvent malheureusement nous ne participons à ces réunions que de manière auditive par la transmission sonore des conduits de cuivre qui traversent l’entièreté de la maison et qui jonchent un pan de mur de cet étage. Dans cet habitacle nocturne même de jour se trouvent les souvenirs laissés de moments partagés. Une affiche, une guirlande, un costume, quelques bouteilles et le cendrier qui déborderai même vide tant il est nourri quotidiennement. Des objects censé rappeler qu’on y fait la fête et non qu’on s’y donne la mort.

Antoine T.

Haïkus du quotidien

Mes inspirations

Nées de fantasmes en fleurs

Désormais fanées

Antoine T.

Un bureau rangé
Des téléphones silencieux
Le bruit s’estompant
Verre d’eau rempli
S’éclipsant dans la nuit noire
Du volet fermé
Une montre grise
Disparaissant dans l’amas
Du panier à linge
Chaise renfoncée
S’évaporant dans l’immense
Pièce de la maison

Matthieu J.

Effluves dissipés,
Ceux de ton corps sur les draps
La pluie qui frappe

Agathe L.

La disparition
Dans la chaleur de ta paume
Des peurs par milliers
La trace effacée
De ton doigt sur le miroir
Et la porte close
Une succulente
Sourde aux pas lourds des voisins
Et à tout le reste
Là, au fond du bol
Les grains de riz s'évaporent
Avec nos paroles

Louise B.