Nous avons fait de nos intérieurs des ilots d’aventures

Nous avons fait de nos intérieurs des ilots d’aventures. Privés des océans, nous avons jeté l’encre sur nos plages. L’horizon ne nous a pas été enlevé mais c’est depuis nos fenêtres que nous l’explorons. Nos outils de navigations sont restés aux tiroirs et les cartes ont changé. La grande voile n’abrite plus le vent de liberté. C’est un jour connu que nos bras hissent au matin.

Il nous reste les nœuds de nos existences dont on ne sait quoi faire. Nos navires sont à quais mais il reste bien des voyages à entreprendre. Le mistral souffle encore sous la porte, il nous murmure d’ouvrir ces bouteilles jetées à la mer. Des mots qui ont quitté navire trop tôt, des amours ardents, des appels des poètes solitaires, des déclarations avortées et de tous les autres maux… Partir à l’abordage de nos inspirations et s’amariner dans ces eaux inconnues. Trouver des radeaux de fortune pour nous emporter loin des plages encombrées. 

Nous avons bâti des phares mais le temps est à la dérive. 

La liberté du marin est à portée de main, il suffit de fermer les yeux et d’accueillir l’écume de nos désirs. Lâcher la barre, entreprendre des manœuvres près des côtes ou dans le creux des vagues de leurs courbes. Naviguer au gré des souffles et des sens de nos courants intimes. Se réjouir de ces traversées sans assistance et des changements de caps incertains. Hissons ensemble un pavillon de courtoisie afin se perdre dans ces eaux de plaisirs partagés. 

Antoine T.

Nous avons acheté des provisions

Nous avons acheté des provisions et nous sommes rentrés chez nous. Nous avons fermé la porte. Nous nous sommes lavé les mains, plusieurs fois. Nous avons regardé nos écrans avec anxiété. Nous avons fait de la gym sur nos petits tapis. Nous avons passé beaucoup de temps à organiser, adapter et rassurer. Nous avons téléchargé Zoom, Skype et Discord. Nous avons lu L’Univers à portée de main et Ilska et d’autres encore. Nous avons écrit. Nous avons regardé Tiger King et des tas de statistiques. Nous avons eu du mal à dormir. Nous sommes allés marcher pour nous fatiguer. Nous avons cuisiné, nous avons fait notre propre pain et de la compote quand la saison de la rhubarbe est arrivée. Nous avons écrit beaucoup de mails et nous avons vu nos collègues, nos élèves et nos amis dans de petits rectangles virtuels. Nous avons hésiter à acheter, fabriquer et porter un masque. Nous avons trié nos objets et nos habits. Nous avons fait des listes et calculé notre budget. Nous avons changé nos habitudes. Nous avons gardé nos habitudes. Nous nous sommes habitués à nos habitudes. Nous nous sommes vus, à deux mètres de distance. Nous avons bu du champagne dans un parc pour fêter les 25 ans de notre frère et dans une cour pour l’anniversaire de notre grand-mère. Nous avons relevé notre voisine qui était tombée dans l’ascenseur. Nous avons espéré ne pas lui avoir transmis le virus. Nous avons distribué des légumes et des biscuits à notre entourage, aussi des livres parfois. Nous avons déposé des petits cadeaux dans les boîtes à lait. Nous avons commandé du vin. Nous avons bu du vin. Nous nous sommes connectés à des sites sur lesquels nous n’étions jamais allés. Nous avons vu des spectacles depuis notre salon. Nous avons parlé, parlé, parlé dans nos téléphones et à nos ordinateurs. Nous nous sommes tus et nous avons écouté le silence.

Louise B.