Mon printemps confiné

Assis sur une chaise longue dans mon jardin, je vis le confinement en ce début de printemps. Le temps que j’ai à disposition ne me semble pas du tout long, j’ai plein de choses à faire comme compter les brins d’herbe de ma pelouse :

Un brin, deux brins, trois brins…

Dans un coin de mon jardin, des petites fleurs poussent. Je n’ai pourtant rien semé. La nature m’a offert une palette de plantes sauvages de toutes les couleurs : des pissenlits, des primevères, des pâquerettes, des perce-neiges, des violettes et encore plein d’autres dont je ne connais pas le nom mais j’en prends plein les yeux : du jaune, du blanc, du rose, du bleu, du violet posés en désordre sur un fond vert éclatant. Je suis content qu’il y ait majoritairement du vert, c’est ma couleur préférée.

Quatre brins, cinq brins, six brins…

Dans le deuxième coin de mon jardin, une table sur laquelle sont posé un ordinateur, une tablette, un verre et une bouteille d’eau. La situation nous force à rester à la maison avec ce temps qui reste beau et devient de plus en plus chaud : c’est pourquoi il faut toujours bien s’hydrater. Je me dis la situation n’est pas facile mais qu’on a tellement de chance de vivre ici. Dans onze minutes, j’ai rendez-vous pour une vidéo conférence avec mes élèves ; il faut continuer à leur apprendre des choses mais surtout j’ai envie de savoir comment ils vont. J’espère ne pas perdre le compte…

Sept brins, huit brins, neuf brins…

Au milieu de mon jardin, un grand arbre touffu avec une, deux, trois… un certain nombre de feuilles. Je suis content, j’ai encore trouvé une autre chose à faire lorsque j’aurai fini de compter les brins d’herbe de ma pelouse. Cet arbre sert de maison à de nombreux oiseaux différents… Certains sont beaux, certains chantent bien, certains me dérangent quand j’essaie de faire la sieste mais au fond je les aime tous. L’autre jour, j’ai fait la conversation en sifflant avec l’un d’entre eux. Je n’ai rien compris à ce qu’il me disait mais une chose est sûre, on s’est bien amusé tous les deux.

Dix brins, onze brins, douze brins…

Dans un autre coin de mon jardin, un tapis de sport, une corde à sauter, des raquettes de badminton. Pour pouvoir profiter pleinement de l’apéro du soir, il faut avoir fait brûler un peu de la réserve qui recouvre mon corps. Je ne fais pas de calcul précis mais j’aimerai avoir compte nul ou négatif entre calories consommées et dépensées. Certains jours, les courbatures, la chaise longue, le lit et le canapé s’allient pour m’en empêcher mais heureusement les collègues, les amis et ma copine se relayent pour m’accompagner dans mes exercices de routine.

Treize brins, quatorze brins, quinze brins…

Dans le dernier coin de mon jardin, un petit muret de pierre. Si on s’approche, on peut voir la vie grouiller : des gendarmes se baladent, ils apparaissent et disparaissent, parfois même ils s’accouplent ; on dirait alors deux insectes collés l’un à l’autre par l’arrière : s’engage alors un combat pour savoir qui va dans le bon sens. Les fourmis, pourtant réputées si organisées et travailleuses, ne sont pas du tout alignées, au contraire, elles partent dans toutes les directions dans un chaos vraiment très loin d’être orchestré.

Ça y est, j’ai encore perdu le compte mais au fond est-ce vraiment si important ? J’aurai le temps de recommencer demain ou après-demain ou après-après-demain. Le confinement est loin de se terminer et ça n’est pas pour me déplaire.

Quôc Anh B.

Tentative d’épuisement d’un balcon lausannois

L’heure : 14h
Le lieu : un balcon donnant sur l’Avenue de France

Quelques éléments fixes :

Une balustrade de pierre. A l’angle Est, un clou rouillé et deux crochets dépassent de la pierre.

Une table et deux chaises : l’une en plastique noir, l’autre en bois, accordée à la table. L’armature est en métal gris. Je suis assise sur la chaise noire.

Une plante en pot sur la table. Le pot est gris métallisé, la terre brune et humide, la plante a deux tiges et des feuilles plates et épaisses comme du plastique.

Un mur rougeâtre et un bord de fenêtre en pierre grise, avec des jointures blanches. Une série de neuf crochets sont plantés dans la paroi Est. Rien n’y est accroché.

Derrière moi, une chaise en plastique gris clair repliée et, au sol, sept pots, dont quatre contiennent de la terre sèche et des plantes mortes. Trois autres pots sont placés à l’autre extrémité du balcon ; deux sont surmontés de bulbes sans tulipe, le troisième contient un reste de lavande. 

Derrière la chaise pliée, une plaque de métal sépare le balcon en deux. De l’autre côté, la balustrade de pierre se prolonge chez la voisine.

Un sol qui était gris clair avant de retrouver, par plaques, son gris foncé d’origine.

Un filet gris enrobe le balcon. A l’une des mailles s’est accroché un peu de duvet blanc, probablement arraché à un pigeon maladroit.

Face à moi, juste après le balcon et son filet, une gouttière noire longe le mur et disparaît en un coude au niveau de l’avant toit.

Quelques éléments changeants :

Un verre à pois rouges, jaunes et bleus qui se vide lentement de son eau.

Un carnet ouvert et un stylo rouge et doré qui écrit sur la page. Le stylo est tenu par une main aux ongles couleur brique. Une autre main (aux ongles pareillement colorés) tient les pages du carnet.

L’ombre de la plante et de la balustrade se déplaçant sur la table.

L’ombre du verre, en partie transparente et en partie opaque, qui tremble au rythme des mouvements de l’eau. Les rayons du soleil la transpercent d’un arc lumineux. 

Une voix qui s’élève de la rue, accompagnée du bruit d’un moteur et des sons que produisent habituellement des voitures sur une route.

La vision fugitive d’un pigeon. Parfois des pépiements.

Une brise fraîche qui agite : la plante, mes cheveux, le filet et le petit duvet blanc accroché au filet (et leurs ombres).

Un klaxon soudain.

La chaleur du soleil.

Un bruit d’eau qui tombe.

L’éclat rouge d’un bonnet aperçu entre les pieds de la balustrade. Maintenant que je regarde, des voitures (blanche et rouge) et une fourgonnette passent aussi dans cet interstice.

Un pépiement plus soutenu derrière moi. PiPiPi. PiPiPi. PiPiPi. Il accélère. Pipipipipi Pipipipipi. Il est presque couvert par le vrombissement d’un moteur, Un autre oiseau le rejoint. Un bruit de battements d’ailes. Pi. Pi. Pi. Les pépiements s’espacent et s’arrêtent.

Des portières qui claquent.

Un bus entier traverse l’interstice, et une voiture de police, aux pieds de la balustrade.

L’ombre de nuages très fins ou de fumée ou de vapeur qui glisse sur la table en bois.

Des bruits de scie électrique et de cartons qu’on ouvre.

Un groupe de battements d’ailes et un deuxième dans l’autre sens. Clac Clac Frou Frou et un courant d’air.

L’ombre du filet qui quadrille régulièrement la balustrade, seulement interrompu par l’ombre du duvet blanc qui frémit.

Louise B.