Pandémie Blues

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure », nous a révélé Marcel Proust. Or il me semble que tous les enfants se couchent de bonne heure. Ou se couchaient de bonne heure. Avec le virus, les règles ont changé, les normes se sont assouplies. Nous avons commencé par autoriser un peu plus de télévision le soir. Puis, cela n’a plus été nécessaire, les enfants se sont mis à jouer dans le jardin, à se construire des cabanes, puis à jouer à des jeux de société avec nous. Le rythme école-boulot-dodo s’est peu à peu déconstruit. Nous avons recommencé à nous parler, longuement, sans stress. La table de ping-pong a été sortie du garage, pour un premier essai, puis les parties se sont suivies, entre deux séminaires à distances.

Les signes du laisser-aller se sont ensuite multipliés. Les dix minutes du petit déjeuner se sont étendues, insensiblement, pour occuper l’espace temporel de sept à dix heures. La nourriture est devenue plus soignée, plus apprêtée. En fait, la question du repas a commencé à prendre une grande importance, comme dans les sociétés primitives et, par ricochet, les questions de travail ont été reléguées à l’arrière-plan. Un tournus s’est instauré, sans réelle contrainte, pour assumer entre tous vaisselle, repas, courses à l’épicerie. 

La déconstruction systématique du rythme dément de nos vies d’avant s’est ensuite poursuivie, sans accélération particulière, ni révolution spectaculaire. Certains ont laissé leurs montres dans leur chambre. D’autres ont remplacé les dossiers professionnels par des livres de cuisine et les heures gagnées sur les transports publics ont été judicieusement investies dans des séances de yoga, au soleil, sur la terrasse. Les costumes et les cravates, ainsi que les talons et les maquillages ont peu à peu été délaissés. Nous nous croisons en training, en shorts, parfois en tenue de sport : pas seulement à la maison, mais aussi entre voisins, à « distance sociale ».  Moins de repassage, personne ne s’en plaint.

Les chamois de la falaise proche, après quelques semaines, ont commencé à venir dans notre jardin, attirés par l’herbe plus verte et probablement par le jet d’arrosage dispensant à heure régulière une boisson inattendue mais bienvenue. Le milan royal, déjà présent l’année passée, est revenu et plonge régulièrement devant la cuisine en quête de morceaux de viande. Le soir venu, seul sur la terrasse, je regarde le ciel et constate l’absence complète d’avions. Le cerisier en fleur, éclairé légèrement par la lune, resplendit à l’orée du bois. Pas de doute, le confinement rend contemplatif.

On nous annonce la fin proche de la pandémie. A notre grande surprise, cela nous rend méditatifs, pour ne pas dire mélancoliques. Nos enfants vont retourner à l’école et en revenir stressés en fin de journée. Nous-mêmes, nous allons devoir endosser à nouveau notre attirail business et nous entasser avec nos portables dans les trains, les bus et les embouteillages. Allons-nous, après avoir souffert de l’angoisse du virus, être abattus par une sorte de pandémie-blues ? 

Luc B.

Rencontre au Continental

Avec P., chaque soir, nous tentons de rattraper les dix mille pas en parcourant le quartier.

Hier nous nous baladions aux Faverges quand P. reconnaît un immeuble et me dit :

– C’est là qu’habite Virginia, au rez-de-chaussée avec le balcon.

Et nous apercevons effectivement une petite dame âgée qui marche derrière une fenêtre éclairée.

P. tape à la vitre, Virginia sort sur le balcon, ne le reconnaît pas immédiatement, puis sourit :

– Attendez-moi sur le muret, je vous apporte les cafés.

Après un certain temps elle arrive avec un petit plateau et trois cafés dans trois gobelets en carton.

Nous sommes assises à quatre mètre l’une de l’autre. P. nous fait face.

Tous les deux se rappellent d’anciens souvenirs. Par son père Roland, P. avait fait la connaissance de Virginia au bar du Continental à Lausanne.

Ils parlent et parlent. Elle se tourne vers moi et me dit :

– Roland et ses deux fils, c’était quelque chose. Ils étaient tellement beaux. C’était quelque chose quand ils arrivaient au Continental.

C’était en 1971, peu de temps après Virginia s’est mariée.

Tout-à-coup, elle sort une photo de sa poche et dit à P. :

– Tiens tu la donneras à ton père.

On voit un homme debout dans l’océan. Il a de l’eau jusqu’à la taille. Il prend la pose d’un boxeur qui fait ressortir ses muscles, son ventre plat et son bronzage. Il nous regarde et sourit.

Roland avait déjà quatre enfants. Il avait divorcé dix ans auparavant et n’a plus jamais vécu en couple. Il vendait du vin et du champagne en Guadeloupe et en Suisse.

Carine B.

Je dis NON

Je dis NON à cette situation, je dis NON à ce virus, je dis NON à toutes ces personnes qui meurent, je dis NON au fait que nous ne puissions pas dire un dernier au revoir à celles-ci, je dis NON au cons qui ne respectent pas les règles établies, je dis NON au confinement total qui pour moi ne résout rien, je dis NON aux gens violents et aux violences conjugales qui augmentent, je dis NON à ceux qui ne pensent pas aux autres en faisant des courses abusives de produits inutiles, je dis NON à une sortie de crise trop rapide qui aggravera la situation plutôt que l’améliorer ou la résoudre, je dis NON au fait de perdre de vue certains amis alors que nous avons tous les moyens pour communiquer aujourd’hui, je dis OUI à nos dirigeants et leurs prises de décisions, je dis OUI à un bon verre de rosé sur ma terrasse, je dis OUI à un skypéro  avec mes amis toujours en compagnie d’un bon verre de rosé et quelques chips, je dis OUI au fait que cela ne va pas durer si longtemps et que d’autres à d’autres époques ont vécu des choses bien plus horribles que le semi-confinement dont nous faisons face, je dis OUI aux gens intelligents qui respectent les règles, je dis OUI à la vie !

Matthieu J.

« L’imprévu de l’ermite… »

« L’imprévu de l’ermite sont ses pensées. Elles seules rompent le cours des heures identiques. Il faut rêver pour se surprendre. » (Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson, p. 76)

Le passage du temps en inertie efface ses pas dans son esprit. Comment rompre la servitude quand pour survivre l’ermite doit établir une routine millimétrée. Ne pas s’habituer, renouveler l’implacable machinerie des idées. Naturellement le sens de sa quête s’épuise. L’ermite cherche les lumières, pourtant l’obscurité de son existence gronde. Quelque chose se meurt depuis longtemps, les plaies n’apparaitront peut-être pas avant sa fin. Un feu sans fumée avance, le ciel n’annonce pas la nouvelle. L’ermite souffre mais son isolement est un voile ingénieux. Chaque agissement orchestré dans sa forêt est un empoisonnement anesthésiant.

L’ermite s’enfonce vers sa liberté promise comme une évidence mais survient l’éclosion. Avec elle, l’apparition des cicatrices et des rides du cœur. Est-ce bien de lui dont il s’agit… ? Il semble désormais éveillé et s’en remet aux tâches quotidiennes pour tromper sa nuit. La nature environnante déborde de mystères à résoudre mais l’ermite n’est pas poète. L’architecture des arbres, immobiles et semblables, le rassurent. Pourtant, sous la surface, les racines se meuvent et communiquent en silence. Comment prendre la mesure de ce qu’il s’y passe sans s’allonger pour éprouver l’imperceptible danse.

Les fruits tombent et leurs sucres nourrissent les intérieurs. D’où viennent ces multiples saveurs cherchant amant ? L’ermite goûte, mais sa langue n’abrite aucun plaisir. Le miracle lui échappe et la frustration l’épuise. Il faudrait se mettre à creuser mais l’ermite n’a d’outils que ses mains et la terre lui résiste. Soudainement son repli magnifique a l’allure d’une noyade et les fleurs nocturnes colorent ses jours. Impuissant il ne peut se saisir des roses naissantes sans se blesser à leurs épines, il se vide sans reconnaître son sang. 

Pensant mourir il se souvient. En renonçant à ses désirs l’ermite s’était immobilisé. Il peut désormais voir la statue de son passé et l’écorce entourant son hêtre est un livre à deviner. La sève émerge irriguant ses blessures et nourrissant ses pensées. Il peut enfin se saisir de la richesse des sols et se trouve libre de mouvoir ses racines. 

Enfin lorsque ses premiers fruits dévoileront leurs couleurs l’ermite se demandera quelle bouche viendra trouver son cœur et quelle larme abreuvera son âme. 

Antoine T.

Confinement au Mont-Dore

A onze ans, P. et son jeune frère quittent Nice pour aller en pensionnat dans une région qui porte le joli nom de Mont-Dore.

Il y restera jusqu’à l’âge de 15 ans et demi.

Entre chaque lit, il y avait 1m 60 de distance, 2 rangées de dix lits.

Chaque pensionnaire avait une armoire, fermée à clef et ouverte chaque matin par les surveillants.

Les rangées d’armoires se tenaient près des douches.

Chaque pensionnaire avait également un casier près du réfectoire pour enfermer les chocolats et autres gourmandises qu’ils recevaient de leurs proches.

A leur demande, le surveillant leur ouvrait leur casier aux heures des repas. 

P. recevait deux colis dans l’année. « J’étais fou des colis ». Cela fait donc huit colis.

Adulte, P. est « fou » de petites collections qu’il achète sur abonnement ou avec un magazine : soldats de la 1ère et 2ème guerres, voitures miniatures anglaises, reproduction de monnaie ancienne…

Il les conserve dans leur emballage, intactes.

Il les range soigneusement dans de grands tiroirs.

Carine B.

Je reste à regarder le temps #2

Je reste à regarder le temps qui passe, le soleil qui se lève chaque matin quelques minutes plus tôt signe que les journées s’allongent, que le temps des chaudes soirées d’été arrive bientôt, promesse de barbecues entre amis à rire aux éclats sur des sujets divers et variés, du rosé qui coule à flots. Je reste à regarder le temps qui passe, les secondes qui rythment nos journées de manière infernale. Je reste à regarder le temps qui passe et les minutes, plus lentes, qui nous permettent de réfléchir plus en avant à un embryon d’idée que nous avons eu lors de ces secondes. Je reste à regarder le temps qui passe et ces heures qui nous permettent d’avoir des activités qui prennent plus de temps comme faire à manger, marcher, ranger et nettoyer sa maison. Je reste à regarder le temps qui passe, ces jours qui se suivent et ne se ressemblent pas, quoique certaines habitudes sont bien en place, se lever, boire son café, aller au travail pour les jours de semaine, manger avec ses collègues, boire un nouveau café, re travailler, rentrer, manger, passer du temps avec l’être aimé. Je reste à regarder le temps qui passe, ces mois qui se suivent et dont rien ne reste « comme avant », les choses changent, les gens changent, je change, mais la base de ce que nous sommes reste. Je reste à regarder le temps qui passe, ces années qui avant prenaient beaucoup de temps à s’écouler mais plus notre âge avance plus on a un sentiment d’impression qu’elles sont de plus en plus courtes. Ça me laisse du temps de prendre du recul, d’essayer d’être une meilleure version de moi-même avec les années qui passent, d’avoir plus de patience et de compréhension sur le changement. Ne dit-on pas qu’un grand cru se bonifie avec l’âge ? Je pense que cela s’applique aussi à nos personnalités. J’aime ma vie et ce que j’en fais.

Matthieu J.

Les heures #5

L’heure du réveil qui sonne aux alentours de 7h30.
L’heure de la douche.
L’heure de l’odeur du café bien chaud qui arrive à mes narines.
L’heure de partir au travail.
L’heure du petit-déjeuner.
L’heure de la séance quotidienne.
L’heure du repas de midi, toujours à 13h.
L’heure du second café de la journée, au troisième selon l’humeur.
L’heure de finir sa journée de travail et prendre sa voiture pour rentrer chez soi.
L’heure d’aller faire les courses.
L’heure d’arriver à la maison aux alentours de 18h.
L’heure de profiter un peu de soi et de faire certaines activités pour soi.
L’heure de préparer le repas du soir, voir de commander via une de ces fameuse app si on a la flemme.
L’heure de passer du temps avec l’être aimé en regardant un film, jouant à des jeux vidéos, lire ou jouer au billard.
L’heure de s’enlacer.
L’heure de se coucher.
L’heure de se rendre compte que nos journées ont certaines similitudes.

Matthieu J.

Jour 16, 17, 18?

L’Hôtel Particulier, jour 16, 17, 18 ? Peu importe.

(de la rue X, si vous frappez à la porte, d’abord un coup puis trois autres on ne vous laissera pas entrer ni seul et surtout pas accompagné…)

Ça commence à ressembler à un truc lactofermenté, je parle de l’intérieur, le grand intérieur de soi où des escaliers des couloirs sans fin se succèdent. 

A l’extérieur et Avant, je percevais que cela surfait sur la Tendance « healthy & colourfully food ». On les voit sur des étals de marchés ou dans de petites échoppes juste ce qu’il faut de déglingué mais proprettes. Alléchant les curieux gustatifs en mal de sensations authentiques.

Qui ne craque pas devant les couleurs acidulées, de l’orange des carottes ou du curcuma, les verts vifs, tendres, les petits pois tout ronds ou les tranches de fenouil ? Alignés en couches dans leurs bocaux présentés sur des étagères en bois, délicatement patinées. La fraîcheur du coup d’œil est garantie.

Toutes échoppes, gargotes, roulottes étant fermées, chiuso, cerrado, geschlossen, closed…

Revenons inéluctablement à la lactofermentation interne.

Bien que souvent contrastée, haute en couleurs, rouge, noir ébène, brunâtre, rarement toute blanche ou pour si peu de Temps, ce n’est pourtant pas ce dernier qui nous manque. 

De mon point de vue ces jours, ce n’est pas joli joli.

Les jours plus longs qui s’étiiiiirent, les nuits courtes en traitillé n’arrangent rien au processus fermentatoire.

La Digestion s’opère principalement pendant la nuit.

Elle a du boulot car elle gère aussi la partie Alimentaire mon cher Watson !

Des cultures considèrent le temps et la manière de choisir ses aliments, comme une qualité importante de nos nutriments. 

Qu’en est-il alors de la façon la plus courante que nous avons de faire nos achats en ces Temps ?

Lors du dernier commando Migros, je n’ai d’ailleurs pas vu où en sont les stocks de PQ, je m’en sers peu.

(non que ma digestion soit bloquée à ce point, juste que la bouteille de flotte à coté des chiottes convient parfaitement à l’affaire, sans malmener plus que nécessaire les forêts, comme ma conscience toute fragilisée, elle aussi)

L’approche du loooong week-end rendait donc les gens frappadingues dans la petite enseigne du géant Orange de la Rue X. Je vous passe les détails des allées-venues de chacun, impossibles à prévoir ni comprendre quand il nous tient bravement à cœur de respecter les consignes de sécurité, pour tous.

Même si dans le climat désorienté du shop j’ai zappé quelques produits utiles de ma liste mémorisée, j’ai choisi afin de récompenser le héros qui flageole encore en moi, d’ouvrir une bière (la boisson pas la boîte à défunt) à 16 heures tapantes. Passant ainsi outre mon : 

« Tâche vraiment de ne pas boire d’alcool avant 17 heures ou alors de manière occasionnelle et non répétée trop souvent. »

Notre météorisme interne est mis à rude épreuve, je voulais écrire d’un jet quelque chose là dessus. 

Les circonvolutions manifestes pour m’égarer de ce chemin prouvent que la marinade est encore en cours, qu’elle n’est pas prête à délivrer de résultat pas plus que ces aromes, loin de là.

Qu’il faut prouver et éprouver encore sa patience, qu’il est stérile d’espérer le chant du poussin avant que la poule ait pondu.

Sur cette image un brin Pascale à laquelle j’ajoute quelques lapins gambadant dans l’herbette, je vous souhaite de Joyeuses Pâquerettes, tenez bon !

Christine G.

En marchant

En marchant, 

je vois cet arbre là bas

Et je le reconnais

Je découvre les fleurs de ci de là

En marchant, 

j’entends soudain un oiseau, des oiseaux, leurs chants

En courant, 

Je laisse s’évaporer mes pensées 

Je vois les reflets de lumière dans la rivière

Et je la reconnais

Dix fois je fais le même chemin

Cent fois je fais les mêmes pas

Mes pieds frappent la terre

Le vent me balaye

Et mon amie c’est là ! 

Que j’ouvre les bras à la joie

Noëllie G.

Je dis OUI

Je dis OUI aux enchantements des premiers jours de printemps. Je dis OUI au soleil qui vous enveloppe au matin. Je dis OUI aux yeux fermés et aux mains qui découvrent. Je dis OUI à la note identique et à son effet pluriel. Je dis OUI aux résistants et aux réticents d’une compréhension unique. A chacun son mouvement sur une mélodie collective. Je dis OUI à l’envie de réaliser et aux surprises de l’incertain. 

Je dis OUI à la musique, celle des musiciens et celle des oiseaux de passage. Je dis OUI à l’incompréhension des mots prononcés et aux révélations des silences. Je dis OUI à la singularité des paysages dans lesquels on s’invente le dessin de nos corps. Je dis OUI aux courbes et aux marques du temps. Je dis OUI aux plaisirs, aux embrassades et à notre voyage. 

 Je dis OUI à l’intuition d’une rencontre. Je dis OUI à l’eau et l’odeur du soleil sur la peau. Je dis OUI aux sensibilités multiples et à la sensualité d’une nage. Je dis OUI aux fleurs offertes et à la mémoire d’une caresse. Je dis OUI aux désirs naissants contenus dans un sourire éphémère. Je dis OUI à l’incompréhension et à l’aveu de l’impuissance. 

Je dis OUI à l’indépendance et à l’envie d’appartenir. Je dis OUI aux pensées qui ouvrent des portes en courant d’air. Je dis OUI aux rires qui apportent une réponse. Je dis OUI aux liens à défaire et aux racines nouvelles d’une architecture mouvante. Je dis OUI aux forêts et aux zones d’ombres qui abritent les miracles. Je dis OUI aux couleurs en haut des cimes reflétant l’adieu au jour. 

Antoine T.