En attendant la fin

Lui – Allons-nous-en.
Elle – On ne peut pas.
Lui – Pourquoi ?
Elle – On attend la fin du confinement.
Lui – C’est vrai. (Un temps.) Tu es sûre que c’est ici?
Elle – Quoi ?
Lui – Qu’il faut attendre.
Elle – Le gouvernement a dit chez vous. (Ils regardent autour d’eux.) On est bien chez nous?
Lui – Qu’est-ce que c’est?
Elle – On dirait une porte.
Lui – Où est la clé ?
Elle – Elle doit être dans la serrure.
Lui – Finis les pleurs.
Elle – A moins que ce ne soit pas le bon moment.
Lui – Ce ne serait pas plutôt un placard ?
Elle – Un portail.
Lui – Un placard.
Elle – Un – (Elle se reprend.) Qu’est-ce que tu veux insinuer? Qu’on s’est trompé d’endroit?
Lui – La fin du confinement devrait arriver.
Elle – Ils n’ont pas dit ferme quand elle viendrait.
Lui – Et si elle ne vient pas aujourd’hui?
Elle – Nous continuerons demain.
Lui – Et puis après-demain.
Elle – Peut-être.
Lui – Et ainsi de suite.
Elle – C’est-à-dire…
Lui – Jusqu’à ce qu’elle vienne.
Elle – Tu es impitoyable.
Lui – Nous étions déjà là hier.
Elle – Ah non, là tu te goures.
Lui – Qu’est-ce que nous avons fait hier?
Elle – Ce que nous avons fait hier?
Lui – Oui.
Elle – Ma foi… (Se fâchant.) Pour jeter le doute, à toi le pompon.
Lui – Pour moi, nous étions ici.
Elle – (regard circulaire) La situation te semble familière?
Lui – Je ne dis pas ça.
Elle – Alors?
Lui – Ça n’empêche pas.

Louise B., d’après En attendant Godot de Samuel Beckett

Je reste à regarder le temps #1

Je reste à regarder le temps
Qui s’égoutte à la plainte du vent,
Les secondes, les minutes, les heures,
S’égrènent sans tic-tac,
Mais avec le rêve en point de mire,
Et mes pensées vagabondent,
Au rythme de ma respiration,
Projeter à l’horizon mes désirs,
Aussi loin que le temps les emportera,
Tout doucement revenir sur mes pas,
Reprendre conscience de la réalité,
Du temps présent,
Et le regarder s’effiler…

 
Geneviève J.

Les heures

L’heure du réveil qui sauve des rêves angoissants
L’heure de se préparer comme pour sortir
L’heure de répondre aux emails
Les heures de l’ordinateur
L’heure de la salade
L’heure de prendre l’air (et de se désinfecter cinq fois les mains)
L’heure d’apprendre à faire une pompe
L’heure des nouvelles atterrantes
L’heure de découvrir une œuvre, une idée, un fait, un projet que je ne connaissais pas
L’heure de l’appel de maman
L’heure des couteaux et des casseroles
L’heure du chocolat
L’heure des applaudissements
L’heure du grand écran
L’heure des pensées qui empêchent de dormir
L’heure trop tardive pour recevoir encore des messages professionnels

Et les jours du confinement
Le jour du pain
Le jour de la ferme
Le jour du cours de maths
Les jours du petit-déjeuner avec pain, confiture et beurre de cacahuètes
Les nuits où je ne dors pas seule
Le jour du plat à partager
Le jour des téléphones aux grands-mères
Le soir de l’apéro sur Skype
Le jour de la réunion familiale virtuelle
Le jour où j’ai envie de prendre un bain
Le jour du restaurant à domicile
Le jour du ménage et de la lessive

Louise B.

Je reste à regarder le temps #2

Quand je reste à regarder le temps, très vite le temps – qui lui ne reste pas – m’angoisse. Il me faut faire quelque chose. Je suis confinée chez moi, l’école où j’enseigne est fermée et je n’ai aucune famille à charge, et pourtant il y a trop de choses à faire pour que j’apprécie regarder le temps.
Bien sûr, ce n’est pas vrai. Il n’y a pas trop de choses à faire. La vérité, c’est que je ne veux pas rester à regarder le temps.
L’angoisse est discrète. J’ai l’air détendu, je souris, je n’ai pas mal au ventre et, en fait, ma situation ne me déplaît pas. Je suis même contente de réaliser toutes ces choses que je m’imagine devoir faire. Mais l’angoisse est là. Alimentée par l’absence de fatigue physique, elle me pousse à l’hyperactivité et envahit mes nuits de rêves dont je me réjouis de me réveiller.
Heureusement, il existe des feintes pour tromper l’angoisse. Il suffit de lui faire croire que vous faites quelque chose, alors que vous êtes aussi près que possible de rester à regarder le temps. Pour atteindre cet état de vive léthargie ou de contemplation active, je ne connais que deux solutions : la lecture et l’écriture. Je peux imaginer que la musique a un effet similaire sur ceux qui l’écoutent attentivement. J’exclus cependant le sport, qui va à l’encontre de « rester », et la consommation de films, séries ou spectacles, qui est souvent trop passive.
Peut-être avez-vous d’autres techniques. Celles-ci sont les miennes pour réussir l’exercice, plus subtil qu’il n’y paraît en période de confinement, de rester à regarder le temps.

Louise B.

Choses vues – mon quartier pas à pas

Descendre le chemin de Chandolin.  Je longe des petits châteaux, de belles maisons bourgeoises pour m’écraser sur un locatif saumon pâle. Le chemin de Chandolin c’est l’illustration du déclassement social, cher à Eribon.  Je me souviens de la maison de mon enfance à l’avenue du Grammont 2 : un appartement banal dans un immeuble laid au milieu de splendides bâtisses. De la fenêtre de la chambre que je partageais avec mon frère, j’imaginais ces vies hors du commun dans des six pièces classés. Ma vengeance : nos voisins nantis avaient vue sur notre médiocrité.

 

Lire sur un immense drap pendu à une fenêtre de la rue Sainte-Beuve : « Le savoir est le plus intellectuel des virus. Dommage qu’il ne soit pas très contagieux ».
 
Carine B.

Choses qui font plaisir

Gratter la terre et accueillir le printemps
Imaginer les couleurs, laisser jaillir les idées, suivre sa première intuition
Jouer aux cartes, perdre, s’agacer, accepter, espérer, perdre à nouveau
Observer le cerisier et attendre qu’il débute sa danse avec le printemps
Cuisiner, partager, rire, découvrir l’autre, questionner, se questionner
Rester en équilibre sur un pied et pas sur deux pour avancer
 
Ania G.

Choses qui font peur

 
Être loin de ses proches ou plutôt des gens que l’on aime
Et après?
L’armée dans les rues
La peur des autres
 
Ania G.

La mort (un peu plus que d’habitude)
Les conséquences sociales, politiques et économiques
La perspective de l’annulation de l’année scolaire
Transmettre la maladie et être responsable de la souffrance des autres
 
Louise B.

 
Quand va-t-on sortir de ce confinement ?
Vais-je perdre des êtres aimés ?
Vais-je revoir mon grand-papa en vrai ?
Les choses vont-elles mal tourner pour moi ?
Comment seront les gens en sortant de cette crise ?
Le monde va-t-il s’en remettre et pourra-t-on toujours faire les mêmes choses ?
Vais-je pouvoir toujours aller dans certains de mes endroits favoris ou seront-il fermés ?
 
Matthieu J.

Choses professionnelles

Le télé-travail – Dans le confinement c’est le buste qui compte !
Comment paraître au mieux dans les vidéo conférences ?
Devenez metteur en scène :
Prenez garde à l’arrière-plan : la bibliothèque ou le tableau c’est mieux que le linge qui pend ou la pile de jouets entassés. Exercez-vous à prendre la pose, soyez attentif à l’éclairage. Relevez le menton. Aujourd’hui, les interactions professionnelles se font au travers d’hommes et de femmes tronc !
 
Carine B.

Choses qui sont les mêmes quand on est confiné

Faire l’amour, avoir soif, avoir faim, se laver, se soulager, rire, pleurer
Mes peurs, mes doutes et mes questions incessantes
Les gens que j’aime ou peut-être ne sont-ils plus les mêmes?
Le goût du café
La pluie

 
Ania G.

Choses qui sont différentes quand on est confiné

Se réinventer, imaginer un autre quotidien, s’inventer et expérimenter ce nouveau quotidien
Observer ses voisins, écouter les chiens seuls occupants des rues, attendre le chant des oiseaux (en particulier la tourterelle sur le cerisier qui roucoule à la recherche de sa partenaire?)
Dormir plus longtemps, raconter ses rêves tranquillement sans scruter le temps qui file
Jouir de quelques jours de bonheur partagé avec ses amis dans sa propre maison
 
Ania G.

 
Le rayon de nos trajets quotidiens
Le réveil, qui ne dépend plus d’un horaire imposé
La compulsion à regarder les informations à tout moment
La vitesse du temps
Le ratio réel / virtuel de nos contacts
La compagnie
Les muscles et les endroits qui font mal
Les causes de la fatigue
La présence du silence
Notre voix (et ce qu’on en fait)
La solitude mais la solidarité aussi
Les sorties culturelles qui restent à la maison
 
Louise B.