Zippo et confinement

J’avais offert ce briquet à Jean, mon beau-père, deuxième père.

Il est décédé.

J’ai repris le briquet,

Je pense à lui (grand fumeur).

Il l’avait toujours sur lui.

Dans son cercueil, je lui ai mis quatre cigarettes dans la poche de sa chemise.

Philippe G.

Journal #2

Lundi 4 Avril 2020 

Je retourne au travail pour effectuer une journée complète au bureau, comme dans mes souvenirs d’avant-confinement, ou presque, je suis en chômage partiel et vais donc travailler seulement 6h46 à la place de 8h27.

Mardi 5 Avril 2020

Je me bats et trouve des arguments censés pour tenter de faire engager un de mes stagiaire en situation d’échec dans son école professionnelle afin qu’il puisse effectuer une 4ème année d’apprentissage chez nous.

Mercredi 6 Avril 2020

Je contemple mon jardin que nous avons si bien préparé ensemble, vivement que nous puissions déguster ce que nous avons planté.

Jeudi 7 Avril 2020

Conférence en ligne avec présentation d’un nouveau membre rejoignant le board de mon entreprise, diplômé en médecine. Présentation et questions très intéressantes par rapport au coronavirus.

Vendredi 8 avril 2020

Nous accueillons des amis pour partager un repas à la maison. Petit événement qui fait tellement de bien après n’avoir vu presque personne depuis tellement de temps !

Samedi 9 avril 2020

Brunch ultra réussi avec des œufs Bénédicte que j’ai enfin réussis à la perfection ! Puis soirée sushis, miam !!!

Dimanche 20 Avril 2020

Profiter du soleil et de la chaleur sur sa chaise-longue, quoi de mieux qu’avoir une terrasse ?

Matthieu J.

Me voici donc seule sur la terre

Me voici donc seule sur la terre

Seule à écouter le silence des rues

Seule à rêver 

Seule à être moi

Me voici donc seule sur la terre

Au milieu de tous ces autres

Perdue dans ce monde grouillant d’êtres vivant que l’on ne respecte plus 

Depuis longtemps 

Seule à crier

Mais pas seule à aimer

La vie ! 

Noëllie G.

Me voici donc seul sur la terre

Me voici donc seul sur la terre. 

Le pas sûr, mon corps avance instinctivement vers ces paysages gracieux. Mes yeux tentent de saisir les perpétuelles nuances de cette nature mais il faudrait s’immobiliser toute une vie pour réussir pareille entreprise. Bientôt le chemin s’effacera et je jouerai de cette musique défait de toute partition. Si le monde se sépare de l’empreinte de nos passages, je connais la route. 

Le pas sûr, je traverse les miracles et je m’émeus de la vie environnante. Mes pieds épousent le décor changeant et chaque étreinte avec cette terre nourrit mon désir de chasser l’horizon. Les oiseaux migrateurs dansent au vent qui accompagne mon effort. Les fleurs se réjouissent du souffle qui annonce le début des amours. La neige en haut des cimes prend appui sur ce murmure pour rejoindre le ciel. 

Le pas sûr, j’accueille les caresses du soleil sur ma peau. Ces bras chaleureux se déploient au-dessus des sommets et donnent naissance aux couleurs des plaines florissantes. Dans les forêts débute l’incessant bal entre ombre et lumière. Chaque feuille abrite une cascade gelée et se laisse enlacer brièvement par cette chaleur retrouvée. Bientôt les insectes viendront s’abreuvoir de l’eau fraichement délivrée par l’union des matins. 

Le pas sûr, je m’approche des lieux préservés des désirs d’expansion de tous végétaux. Peu de merveilles subsistent si loin des mers. L’orchestre laisse place aux chants des hauteurs inaccessibles et souvent encore vierge de rencontre. La mélodie de silences interprétée par ces lieux anonymes annonce la fin de l’ascension. Je contemple la cohérence de cette architecture singulière.

Les réponses engendrées par notre dialogue muet emplissent mon être de plaisir. 

Antoine T.

Je me souviens

Je me souviens des premiers mots, des premiers nous et des mains qui s’unissent

Je me souviens des moments clés qui n’ouvriront des portes que longtemps après

Je me souviens de nos envolées imaginaires et de ces mondes rêvés 

Je me souviens de la naissance du cœur, des pas avant la marche puis des premières courses que l’on croit sans fin 

Je me souviens des allégeances dictées par ces aventures partagées

Je me souviens du lien tissé aux compagnons de l’odyssée d’un été marquant 

Je me souviens des bras qui portent la vie, des histoires qui donnent la nuit et des baisers qui crée refuge

Je me souviens des peurs inavouées et du réconfort d’une main abritant la sagesse 

Je me souviens des blessures fragiles et de leurs disparitions enchantées 

Je me souviens des promesses du crépuscule, des oublis à l’aube et du jour nouveau

Je me souviens des choix qu’on ne faisait pas et des interdits à braver

Je me souviens des gestes incertains et de la délicatesse des premières rencontres 

Je me souviens des fondations inconscientes de sensibilités futurs 

Je me souviens de manquer de comprendre et du chemin dessiner par nos intuitions 

Je me souviens du temps où ne pas savoir ne nécessitait pas d’apprentissage

Je me souviens des rires et de l’hymne à l’insouciance

Je me souviens des éclats de joie et de l’espoir que ces choses ne finissent pas

Je me souviens de l’adieu et du sourire qui persistent dans nos cœurs. 

Antoine T.

Introduction à la Pandémie de 2029

Extrait du « Manuel d’histoire de la communauté des cantons romands », Cabedita, 2045 (classes de 5ème année)

Chapitre 9 : Introduction à la Pandémie de 2029 et à la Révolution de 2030

La première pandémie ? Celle de 2020 ? C’était pratiquement le bon vieux temps. Le folklore… quelques masques pour faire semblant, un peu de gel désinfectant pour se donner bonne conscience, des « distances de sécurité » que l’on considérerait aujourd’hui comme franchement risibles… Le Conseil Fédéral de la Suisse pouvait apparaître « in corpore » à la télévision, sans masque, le sourire aux lèvres, annoncer des mesures de confinement, puis d’allègement. Des malades et des morts ? Certes, il y a en eut, quelques centaines ou quelques milliers, on ne le sait plus, les registres hospitaliers ayant disparu durant la révolution de 2030, mais ce n’était rien par rapport à la grande pandémie de 2029. Les autorités scientifiques auraient dû se méfier et écouter les spécialistes chinois. Certains historiens parlaient bien de la grippe espagnole et de ses cent millions de morts. Des virologues évoquaient avec sérieux Ebola ou les grandes pestes pour préparer la population au pire. Mais personne n’y croyait et les habitants de notre région ne rêvait que d’un retour à la normale, c’est-à-dire à la situation pré-2020.

Aujourd’hui, nous avons peine à y croire, mais pendant la première pandémie, il n’y avait pas de problème d’alimentation, ni d’approvisionnement d’électricité, ni de mobilité. Quelques mouvements de panique avaient bien été signalés, et de rares pénuries (papier WC, aspirine, gel) s’étaient développées ponctuellement. On ne peut donc pas parler pour 2020 de réelle situation de crise, mais d’annonce douce de ce qui aurait lieu plus tard. On se souvient à peine des pandémies légères et bien maîtrisées des années 2021-2028. Le chômage était limité à 8%, et la population se prenait à rêver à un nouvel âge d’or. 

Bien entendu, ces rêves disparurent avec La Pandémie, la vraie, celle de 2029. On estime à environ 3,5 milliards les décès de cette année. La domination chinoise sur la planète et l’éclatement des Etats-Unis et 8 Etats indépendants sont des faits connus (cf. Chapitre 8), comme la guerre civile indienne et l’isolement presque complet décrété par les autorités africaines. Vos parents et grands-parents ont vécu tout cela avec la révolution de 2030 et le nécessaire abolissement de la démocratie ainsi que l’avènement bienvenu du protectorat chinois. Depuis, grâce à des mesures énergiques et au renouveau moral imposé par le Parti, la situation s’est redressée.

Exercice 1 : faites une liste de tous les avantages du protectorat chinois sur notre pays et discutez ce sujet en groupe de 3 élèves.

Exercice 2 : énumérez les précautions d’hygiène indispensable pour éviter une nouvelle pandémie.

Luc B.

Nous avons fait de nos intérieurs des ilots d’aventures

Nous avons fait de nos intérieurs des ilots d’aventures. Privés des océans, nous avons jeté l’encre sur nos plages. L’horizon ne nous a pas été enlevé mais c’est depuis nos fenêtres que nous l’explorons. Nos outils de navigations sont restés aux tiroirs et les cartes ont changé. La grande voile n’abrite plus le vent de liberté. C’est un jour connu que nos bras hissent au matin.

Il nous reste les nœuds de nos existences dont on ne sait quoi faire. Nos navires sont à quais mais il reste bien des voyages à entreprendre. Le mistral souffle encore sous la porte, il nous murmure d’ouvrir ces bouteilles jetées à la mer. Des mots qui ont quitté navire trop tôt, des amours ardents, des appels des poètes solitaires, des déclarations avortées et de tous les autres maux… Partir à l’abordage de nos inspirations et s’amariner dans ces eaux inconnues. Trouver des radeaux de fortune pour nous emporter loin des plages encombrées. 

Nous avons bâti des phares mais le temps est à la dérive. 

La liberté du marin est à portée de main, il suffit de fermer les yeux et d’accueillir l’écume de nos désirs. Lâcher la barre, entreprendre des manœuvres près des côtes ou dans le creux des vagues de leurs courbes. Naviguer au gré des souffles et des sens de nos courants intimes. Se réjouir de ces traversées sans assistance et des changements de caps incertains. Hissons ensemble un pavillon de courtoisie afin se perdre dans ces eaux de plaisirs partagés. 

Antoine T.

Journal #1

Lundi 13 avril

Faire l’amour dans la lumière de l’après-midi, avant de se lancer dans trois jours d’écriture: c’est le bonheur.

Mardi 14 avril

Sans téléphone pour me distraire, je couvre mon carnet d’une écriture de plus en plus illisible. Je compte les pages pour me donner de la motivation.

Mercredi 15 avril

Midi avec papa. Depuis le balcon de son bureau, nous estimons l’avancée du temps au nombre de corbillards qui s’arrêtent au feu, en contrebas. Nous discutons pendant quatre corbillards.

Jeudi 16 avril

30 citrons verts: c’est ce qu’indique la recette de ceviche pour quatre personnes. Ça me paraît un peu exagéré. Je n’en utilise que trois.

Vendredi 17 avril

Les rayons sont presque vides à Uchitomi. L’étalage de poissons de la Coop, au contraire, m’impressionne.

En quête d’os de porc pour un bouillon, nous faisons plusieurs arrêts avant de soupirer de soulagement devant l’énorme jambon que tient le boucher de l’avenue d’Echallens.

Samedi 18 avril

La présence de Mathieu améliore le film Tampopo que nous regardons ensemble. Je le lui dis.

Dimanche 19 avril

Les poissons frits disposés en étoile trempent leurs têtes dans un plat orange et noir de carottes au vinaigre.

Louise B.

« Devenez un soleil… »

« Devenez un soleil et tout le monde vous apercevra. Le soleil n’a qu’à exister, à être lui-même »1.

Ces paroles, prononcées il y a quelques minutes par Porphyre, l’inspecteur de police, continuaient de résonner dans sa tête. « Le soleil est, mais le soleil brûle aussi …» Rachel ne voyait pas où il voulait en venir,ce qui la décontenançait. Bien sûr qu’il lui demandait d’être sans paraître, d’assumer au grand jour, soit d’avouer le crime, chose qu’elle n’avait jamais envisagée ; mais, elle se persuadait qu’il y avait là un sens profond qui lui échappait. « Après tout s’il me demande d’avouer cela prouve qu’il n’a rien pour m’arrêter, il n’est guidé que par ses intuitions. » Quoi qu’elle se disait, il était clair qu’elles annonçaient une fin de partie mal engagée. Son visage qui avait perdu toute sa gaieté s’empourprait. Rachel se mit alors à rechercher dans sa mémoire le moment où elle aurait commis une erreur qui poussa Porphyre dans sa direction. Ses idées restaient confuses, car elle pensait à plusieurs choses à la fois. Elle commença à paniquer. Pourtant, plus que jamais, il fallait garder tous ses esprits; un geste, une parole lâchée sans préméditation la confondrait davantage. Les battements de son cœur s’accéléraient et le monde autour d’elle s’écroulait.

Assise dans son clic-clac, elle s’y replia sous un plaid malgré la chaleur estivale. Elle se mit à tourner dans tous les sens en quête d’une position confortable. Elle ne la trouva pas et l’étouffement la fit sortir du canapé. Elle se leva pour faire les cent pas dans ses 18 mètres carrés. Elle avançait comme une femme pressée, attendue à quelque bureau, une fois au bout, elle faisait demi-tour comme un animal pris au piège dans une cage. Son corps suait à flots et ses vêtements noircissaient. Que lui restait-il à faire ? Tout dire à sa mère et à son frère ? « Voilà que je deviens lâche, pensa-t-elle, incapable de porter seule mon fardeau, je voudrais faire souffrir ma famille. » Elle songea aussitôt à Charles. Il la comprendrait sans doute et l’aiderait à trouver une porte de sortie. Pas plus tard qu’hier, il disait être prêt à tout abandonner pour elle. Si Rachel voulait partir, il la suivrait. « Ah… partir où et comment ? » Elle n’avait pas le courage de tout quitter, abandonner ces hommes et femmes qui lui étaient chers. Et d’ailleurs où serait-elle à l’abri ? L’anniversaire de P… lui vint à l’esprit. « Je ne pourrai pas y aller, se dit-elle avec colère. Pourquoi diable me suis-je engagée là dedans  ? » En effet, elle avait promis d’apporter le gâteau d’anniversaire. Il lui restait encore cinq heures pour prendre une décision. À mesure qu’elle essayait de réfléchir à la suite des événements, son corps s’épuisait, elle se jeta sur le clic-clac et s’endormit. 

Héritier S.

1 Fiodor Dostoïevski, Crime et châtiment, VI, 2