« L’imprévu de l’ermite sont ses pensées. Elles seules rompent le cours des heures identiques. Il faut rêver pour se surprendre. » (Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson, p. 76)
Le passage du temps en inertie efface ses pas dans son esprit. Comment rompre la servitude quand pour survivre l’ermite doit établir une routine millimétrée. Ne pas s’habituer, renouveler l’implacable machinerie des idées. Naturellement le sens de sa quête s’épuise. L’ermite cherche les lumières, pourtant l’obscurité de son existence gronde. Quelque chose se meurt depuis longtemps, les plaies n’apparaitront peut-être pas avant sa fin. Un feu sans fumée avance, le ciel n’annonce pas la nouvelle. L’ermite souffre mais son isolement est un voile ingénieux. Chaque agissement orchestré dans sa forêt est un empoisonnement anesthésiant.
L’ermite s’enfonce vers sa liberté promise comme une évidence mais survient l’éclosion. Avec elle, l’apparition des cicatrices et des rides du cœur. Est-ce bien de lui dont il s’agit… ? Il semble désormais éveillé et s’en remet aux tâches quotidiennes pour tromper sa nuit. La nature environnante déborde de mystères à résoudre mais l’ermite n’est pas poète. L’architecture des arbres, immobiles et semblables, le rassurent. Pourtant, sous la surface, les racines se meuvent et communiquent en silence. Comment prendre la mesure de ce qu’il s’y passe sans s’allonger pour éprouver l’imperceptible danse.
Les fruits tombent et leurs sucres nourrissent les intérieurs. D’où viennent ces multiples saveurs cherchant amant ? L’ermite goûte, mais sa langue n’abrite aucun plaisir. Le miracle lui échappe et la frustration l’épuise. Il faudrait se mettre à creuser mais l’ermite n’a d’outils que ses mains et la terre lui résiste. Soudainement son repli magnifique a l’allure d’une noyade et les fleurs nocturnes colorent ses jours. Impuissant il ne peut se saisir des roses naissantes sans se blesser à leurs épines, il se vide sans reconnaître son sang.
Pensant mourir il se souvient. En renonçant à ses désirs l’ermite s’était immobilisé. Il peut désormais voir la statue de son passé et l’écorce entourant son hêtre est un livre à deviner. La sève émerge irriguant ses blessures et nourrissant ses pensées. Il peut enfin se saisir de la richesse des sols et se trouve libre de mouvoir ses racines.
Enfin lorsque ses premiers fruits dévoileront leurs couleurs l’ermite se demandera quelle bouche viendra trouver son cœur et quelle larme abreuvera son âme.
Antoine T.