X. Tu es sûr que c’est ici ?
Y. Quoi ?
X. Qu’il faut attendre. On m’a dit d’attendre devant l’arbre, y en a-t-il un autre?
Y. Un autre arbre ? Non, il n’y en a pas d’autre.
X. Merci.
(un temps )
X. Quel est ton nom ?
Y. Elle m’a appelé Vladimir, en souvenir d’un oncle russe je crois. Et toi c’est « un » ou « une » qui t’a nommé ?
X. C’est « un », il est cuisinier, latino, il m’a appelé « Estragon » prononcé à l’espagnol c’est plus féminin, paraît-il.
( un temps )
Vladimir – C’est ton premier jour à attendre devant la Migros ?
Estragon – Oui, je dois dire que je suis un peu impressionnée.
Vladimir – T’en fait pas, ça m’a fait ça aussi mais on s’habitue. ( un temps )
Estragon – Il se fournissait sur les marchés alors là aussi il faut attendre, il faut attendre, répète-t-il.
Vladimir – Il y a du monde aujourd’hui, la file n’avance pas beaucoup.
Estragon – Je fais confiance à ton expérience
Vladimir – Quoi qu’il arrive, je suis heureux que la file avance lentement.
Estragon – Pourquoi ?
Vladimir – Parce que cela nous a donné l’occasion de se rencontrer et d’en profiter un peu.
( un temps )
Estragon – Oui c’est vrai, c’est bien.
Estragon – Tu es venu souvent ?
Vladimir – Un jour sur deux à peu près. Depuis ce qu’ils appellent le début du confinement.
Estragon – Toujours en matinée ?
Vladimir – Oui, sauf une fois où nous sommes venus dans l’après-midi.
( un silence semble s’installer )
Estragon – Tu as l’air troublé.
Vladimir – Oui un peu. Ce jour là, il y avait une folle, comme l’a qualifiée ma maîtresse à plusieurs reprises. Elle s’approchait de chaque personne dans la file en vociférant. Même le Sécuritas à l’entrée semblait dépassé par la situation.
( un temps )
Estragon – Tu as eu peur pour ta maîtresse ?
Vladimir – Oui, les humains sont plus menacés.
Je la sens fragile malgrès les apparences qu’elle essaye de sauvegarder.
Estragon – Elle te sort combien de fois ?
Vladimir – Deux fois. Parfois trois quand elle est en forme avec suffisamment de courage, d’optimisme. Et toi ?
Estragon – Trois fois par jour il me sort.
Mais pas loin, pas longtemps. Et on ne s’attarde pas avec les autres. Ni les gens ni les chiens.
( un temps suspendu )
Vladimir – Tu penses que vous reviendrez un matin ?
Estragon – Je vais m’arranger pour qu’il en soit ainsi.
Le voilà qui arrive. Il n’a pas trouvé tout ce qu’il cherchait. Portez-vous bien, on se verra après demain.
Vladimir – La journée de demain va être longue.
Je vais dormir beaucoup.
Prends soin de toi aussi.
Christine G. de Nyon, confinée à Genève