4 20 20, d’un jet.

La place numéro 24 vue du 4ème est occupée par un véhicule mi-limousine, mi-utilitaire. Blanc, 4 portes, traversé par 3 lignes noires sur le toit, servant à transporter des choses ou qui pourrait servir à transporter des choses.

Le propriétaire est un monsieur âgé à chapeau qui possède aussi un chien. Ou serait-ce la possession de sa femme qui passe de main en main, hydro-alcoolisées ?

L’autre jour, sous mes yeux qui se sont ébahis, monsieur a frotté avec son doigt une tache sur le capot avant parqué côté trottoir.

La tache ne semblait pas partir alors il a léché son doigt et recommencé l’opération. Il l’a encore fait sur deux ou trois spots. 

Désormais et depuis, le véhicule est parqué au même endroit mais à l’extrême du marquage au sol, côté route. De sorte qu’entre le capot avant et le trottoir il y a presque un mètre. 

Les passants souillent donc moins l’avant du véhicule qui n’a pas bougé depuis.

Le monsieur non plus d’ailleurs, je ne l’ai plus revu.

Christine G., de Nyon, confinée à Genève

Dialogue de sourd

Le 13 mars, notre ami D (79 ans) s’est réveillé complètement sourd. 

Hier il est venu manger avec sa femme. Nous communiquons avec lui en écrivant nos propos sur un petit carnet . Voici:

J’ai croisé Olivier, cet après-midi, il m’a demandé de tes nouvelles.

Essaie d’aller ailleurs: bord du lac, parc de Milan, d’autres parcs…

Le principal c’est que tu sois là

Marc s’est laissé pousser la barbe

Un voisin l’aide, il a un congélateur rempli de produits Piccard.

Philippe craint de ne pas pouvoir revenir d’Annemasse

Carine est entrain d’organiser mes 60 ans

Tu regarderas le grill, tu pourrais t’acheter le même

Je dis que tu as un solide appétit, ces temps…

C’est l’effet du confinement

86 ans, la moyenne d’âge des gens décédés

Oui mais ce sont des exceptions

Connais-tu les deux frères journalistes M et M, ils sont décédés

Lis-tu la rubrique de Florence Aubenas dans Le Monde?

Ne sois pas trop sévère avec toi tout-de-même

Les croûtes de fromage m’immunisent contre le Covid

Comment as-tu reconnu que c’est une pipe appenzelloise ?

Philippe dit qu’il dort trop, 10h

Les pères de Philippe et Carine pareils, 10h de sommeil

Mon rêve, les caves d’Ecosse

On a l’expérience par rapport à nos métiers obsolètes

Consterné ou concerné ?

Carine B.

Tout dire! #3

Fuyez pauvres fous ! Abrutis qui ne comprenez pas les mesures ! Partez sur une autre planète qui n’est pas la mienne ! Ne profitez pas de ce que la vie nous offre de bon ! Loin ! Loin des personnes que j’aime ! Partez et ne revenez jamais ! Un jour, apprenez de vos erreurs et pour les plus cons ce monde n’est plus le vôtre ! Covid-19 je t’inclus dans mes ordres ! Ne reviens jamais ! Fuis ! Ne t’attache pas aux personnes que j’aime ! Soit l’erreur qui soit effacé à jamais une fois que tous auront compris ! Soit le bug 404 que nous n’aimons pas voir mais pour lequel nous trouvons toujours une solution ! Reste à la version 0.5 de ton programme qui ne verra jamais une version améliorée de toi-même ! Fuis, fuis et ne reviens plus jamais !

Matthieu J.

Le cirque ambulant

Cela se passe ce vendredi saint, dans une forêt proche de Pampigny, où est née mon amie M.

Nous avions marché bien dix milles pas avant de trouver la petite cabane.

– Tu vois c’est là que nous venions pour les fêtes de famille. Nos appartements étaient trop petits pour nous réunir.

Nous préparons le feu, sortons les grillades. La salade. Et le vin.

Le chant des oiseaux retrouvé, le bruissement des feuilles des ormes, un magnifique silence vivant.

Et soudain un bruit d’haut parleur, lointain – un peu comme les annonces d’un cirque ambulant en Italie dans les années 60, criées dans des portes-voix

Le bruit métallique s’amplifie et vient hurler à nos oreilles.

– Si tu t’imagines que l’économie mondiale va se plier, tu te trompes, ils l’ont dit ce matin….

Deux cavaliers, un homme et une femme avec un petit chien qui court devant. Ils se parlent à travers la fonction haut-parleur de leur iPhone.

– J’ai toujours détesté les cavaliers, cette manière de nous regarder de haut, mais là cette arrogance, c’est grotesque, me dit M.

Carine B.

Je n’aime pas

Je n’aime pas : les gens qui se plaignent tout le temps et ne voyant pas que c’est peut-être eux le problème et pas la société qui les entoure, les gens qui ne prennent pas soin d’eux, les agressifs, les malhonnêtes, les gens mauvais qui aiment êtres mauvais, les mauvaises habitudes, la colère, les bananes, la pluie quand je veux faire un barbecue, les gens qui mentent, la petite vieille agressive du supermarché qui prend trop de temps aux heures de pointe, les jeunes qui agressent des autres jeunes ou des vieilles personnes, les gens qui ne respectent pas les animaux, le fait qu’on ait de plus en plus de limites et qu’on soit mal vu pour certaines choses alors que ça serait tellement plus simple de se laisser vivre chacun avec nos petits bonheurs, les gens irrespectueux, le cenovis, les beaufs, les filles qui rejettent les hommes sans regarder leur intérieur mais seulement leur extérieur, les gens qui conduisent trop lentement ou trop vite et mal, la mort, les personnes qui disparaissent, l’infidélité, les politiques pensant d’abord à leur image avant le bien commun, les abrutis.

Matthieu J.

Pandémie Blues

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure », nous a révélé Marcel Proust. Or il me semble que tous les enfants se couchent de bonne heure. Ou se couchaient de bonne heure. Avec le virus, les règles ont changé, les normes se sont assouplies. Nous avons commencé par autoriser un peu plus de télévision le soir. Puis, cela n’a plus été nécessaire, les enfants se sont mis à jouer dans le jardin, à se construire des cabanes, puis à jouer à des jeux de société avec nous. Le rythme école-boulot-dodo s’est peu à peu déconstruit. Nous avons recommencé à nous parler, longuement, sans stress. La table de ping-pong a été sortie du garage, pour un premier essai, puis les parties se sont suivies, entre deux séminaires à distances.

Les signes du laisser-aller se sont ensuite multipliés. Les dix minutes du petit déjeuner se sont étendues, insensiblement, pour occuper l’espace temporel de sept à dix heures. La nourriture est devenue plus soignée, plus apprêtée. En fait, la question du repas a commencé à prendre une grande importance, comme dans les sociétés primitives et, par ricochet, les questions de travail ont été reléguées à l’arrière-plan. Un tournus s’est instauré, sans réelle contrainte, pour assumer entre tous vaisselle, repas, courses à l’épicerie. 

La déconstruction systématique du rythme dément de nos vies d’avant s’est ensuite poursuivie, sans accélération particulière, ni révolution spectaculaire. Certains ont laissé leurs montres dans leur chambre. D’autres ont remplacé les dossiers professionnels par des livres de cuisine et les heures gagnées sur les transports publics ont été judicieusement investies dans des séances de yoga, au soleil, sur la terrasse. Les costumes et les cravates, ainsi que les talons et les maquillages ont peu à peu été délaissés. Nous nous croisons en training, en shorts, parfois en tenue de sport : pas seulement à la maison, mais aussi entre voisins, à « distance sociale ».  Moins de repassage, personne ne s’en plaint.

Les chamois de la falaise proche, après quelques semaines, ont commencé à venir dans notre jardin, attirés par l’herbe plus verte et probablement par le jet d’arrosage dispensant à heure régulière une boisson inattendue mais bienvenue. Le milan royal, déjà présent l’année passée, est revenu et plonge régulièrement devant la cuisine en quête de morceaux de viande. Le soir venu, seul sur la terrasse, je regarde le ciel et constate l’absence complète d’avions. Le cerisier en fleur, éclairé légèrement par la lune, resplendit à l’orée du bois. Pas de doute, le confinement rend contemplatif.

On nous annonce la fin proche de la pandémie. A notre grande surprise, cela nous rend méditatifs, pour ne pas dire mélancoliques. Nos enfants vont retourner à l’école et en revenir stressés en fin de journée. Nous-mêmes, nous allons devoir endosser à nouveau notre attirail business et nous entasser avec nos portables dans les trains, les bus et les embouteillages. Allons-nous, après avoir souffert de l’angoisse du virus, être abattus par une sorte de pandémie-blues ? 

Luc B.

Rencontre au Continental

Avec P., chaque soir, nous tentons de rattraper les dix mille pas en parcourant le quartier.

Hier nous nous baladions aux Faverges quand P. reconnaît un immeuble et me dit :

– C’est là qu’habite Virginia, au rez-de-chaussée avec le balcon.

Et nous apercevons effectivement une petite dame âgée qui marche derrière une fenêtre éclairée.

P. tape à la vitre, Virginia sort sur le balcon, ne le reconnaît pas immédiatement, puis sourit :

– Attendez-moi sur le muret, je vous apporte les cafés.

Après un certain temps elle arrive avec un petit plateau et trois cafés dans trois gobelets en carton.

Nous sommes assises à quatre mètre l’une de l’autre. P. nous fait face.

Tous les deux se rappellent d’anciens souvenirs. Par son père Roland, P. avait fait la connaissance de Virginia au bar du Continental à Lausanne.

Ils parlent et parlent. Elle se tourne vers moi et me dit :

– Roland et ses deux fils, c’était quelque chose. Ils étaient tellement beaux. C’était quelque chose quand ils arrivaient au Continental.

C’était en 1971, peu de temps après Virginia s’est mariée.

Tout-à-coup, elle sort une photo de sa poche et dit à P. :

– Tiens tu la donneras à ton père.

On voit un homme debout dans l’océan. Il a de l’eau jusqu’à la taille. Il prend la pose d’un boxeur qui fait ressortir ses muscles, son ventre plat et son bronzage. Il nous regarde et sourit.

Roland avait déjà quatre enfants. Il avait divorcé dix ans auparavant et n’a plus jamais vécu en couple. Il vendait du vin et du champagne en Guadeloupe et en Suisse.

Carine B.

Je dis NON

Je dis NON à cette situation, je dis NON à ce virus, je dis NON à toutes ces personnes qui meurent, je dis NON au fait que nous ne puissions pas dire un dernier au revoir à celles-ci, je dis NON au cons qui ne respectent pas les règles établies, je dis NON au confinement total qui pour moi ne résout rien, je dis NON aux gens violents et aux violences conjugales qui augmentent, je dis NON à ceux qui ne pensent pas aux autres en faisant des courses abusives de produits inutiles, je dis NON à une sortie de crise trop rapide qui aggravera la situation plutôt que l’améliorer ou la résoudre, je dis NON au fait de perdre de vue certains amis alors que nous avons tous les moyens pour communiquer aujourd’hui, je dis OUI à nos dirigeants et leurs prises de décisions, je dis OUI à un bon verre de rosé sur ma terrasse, je dis OUI à un skypéro  avec mes amis toujours en compagnie d’un bon verre de rosé et quelques chips, je dis OUI au fait que cela ne va pas durer si longtemps et que d’autres à d’autres époques ont vécu des choses bien plus horribles que le semi-confinement dont nous faisons face, je dis OUI aux gens intelligents qui respectent les règles, je dis OUI à la vie !

Matthieu J.

« L’imprévu de l’ermite… »

« L’imprévu de l’ermite sont ses pensées. Elles seules rompent le cours des heures identiques. Il faut rêver pour se surprendre. » (Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson, p. 76)

Le passage du temps en inertie efface ses pas dans son esprit. Comment rompre la servitude quand pour survivre l’ermite doit établir une routine millimétrée. Ne pas s’habituer, renouveler l’implacable machinerie des idées. Naturellement le sens de sa quête s’épuise. L’ermite cherche les lumières, pourtant l’obscurité de son existence gronde. Quelque chose se meurt depuis longtemps, les plaies n’apparaitront peut-être pas avant sa fin. Un feu sans fumée avance, le ciel n’annonce pas la nouvelle. L’ermite souffre mais son isolement est un voile ingénieux. Chaque agissement orchestré dans sa forêt est un empoisonnement anesthésiant.

L’ermite s’enfonce vers sa liberté promise comme une évidence mais survient l’éclosion. Avec elle, l’apparition des cicatrices et des rides du cœur. Est-ce bien de lui dont il s’agit… ? Il semble désormais éveillé et s’en remet aux tâches quotidiennes pour tromper sa nuit. La nature environnante déborde de mystères à résoudre mais l’ermite n’est pas poète. L’architecture des arbres, immobiles et semblables, le rassurent. Pourtant, sous la surface, les racines se meuvent et communiquent en silence. Comment prendre la mesure de ce qu’il s’y passe sans s’allonger pour éprouver l’imperceptible danse.

Les fruits tombent et leurs sucres nourrissent les intérieurs. D’où viennent ces multiples saveurs cherchant amant ? L’ermite goûte, mais sa langue n’abrite aucun plaisir. Le miracle lui échappe et la frustration l’épuise. Il faudrait se mettre à creuser mais l’ermite n’a d’outils que ses mains et la terre lui résiste. Soudainement son repli magnifique a l’allure d’une noyade et les fleurs nocturnes colorent ses jours. Impuissant il ne peut se saisir des roses naissantes sans se blesser à leurs épines, il se vide sans reconnaître son sang. 

Pensant mourir il se souvient. En renonçant à ses désirs l’ermite s’était immobilisé. Il peut désormais voir la statue de son passé et l’écorce entourant son hêtre est un livre à deviner. La sève émerge irriguant ses blessures et nourrissant ses pensées. Il peut enfin se saisir de la richesse des sols et se trouve libre de mouvoir ses racines. 

Enfin lorsque ses premiers fruits dévoileront leurs couleurs l’ermite se demandera quelle bouche viendra trouver son cœur et quelle larme abreuvera son âme. 

Antoine T.

Confinement au Mont-Dore

A onze ans, P. et son jeune frère quittent Nice pour aller en pensionnat dans une région qui porte le joli nom de Mont-Dore.

Il y restera jusqu’à l’âge de 15 ans et demi.

Entre chaque lit, il y avait 1m 60 de distance, 2 rangées de dix lits.

Chaque pensionnaire avait une armoire, fermée à clef et ouverte chaque matin par les surveillants.

Les rangées d’armoires se tenaient près des douches.

Chaque pensionnaire avait également un casier près du réfectoire pour enfermer les chocolats et autres gourmandises qu’ils recevaient de leurs proches.

A leur demande, le surveillant leur ouvrait leur casier aux heures des repas. 

P. recevait deux colis dans l’année. « J’étais fou des colis ». Cela fait donc huit colis.

Adulte, P. est « fou » de petites collections qu’il achète sur abonnement ou avec un magazine : soldats de la 1ère et 2ème guerres, voitures miniatures anglaises, reproduction de monnaie ancienne…

Il les conserve dans leur emballage, intactes.

Il les range soigneusement dans de grands tiroirs.

Carine B.