Tentative d’épuisement d’un balcon lausannois

L’heure : 14h
Le lieu : un balcon donnant sur l’Avenue de France

Quelques éléments fixes :

Une balustrade de pierre. A l’angle Est, un clou rouillé et deux crochets dépassent de la pierre.

Une table et deux chaises : l’une en plastique noir, l’autre en bois, accordée à la table. L’armature est en métal gris. Je suis assise sur la chaise noire.

Une plante en pot sur la table. Le pot est gris métallisé, la terre brune et humide, la plante a deux tiges et des feuilles plates et épaisses comme du plastique.

Un mur rougeâtre et un bord de fenêtre en pierre grise, avec des jointures blanches. Une série de neuf crochets sont plantés dans la paroi Est. Rien n’y est accroché.

Derrière moi, une chaise en plastique gris clair repliée et, au sol, sept pots, dont quatre contiennent de la terre sèche et des plantes mortes. Trois autres pots sont placés à l’autre extrémité du balcon ; deux sont surmontés de bulbes sans tulipe, le troisième contient un reste de lavande. 

Derrière la chaise pliée, une plaque de métal sépare le balcon en deux. De l’autre côté, la balustrade de pierre se prolonge chez la voisine.

Un sol qui était gris clair avant de retrouver, par plaques, son gris foncé d’origine.

Un filet gris enrobe le balcon. A l’une des mailles s’est accroché un peu de duvet blanc, probablement arraché à un pigeon maladroit.

Face à moi, juste après le balcon et son filet, une gouttière noire longe le mur et disparaît en un coude au niveau de l’avant toit.

Quelques éléments changeants :

Un verre à pois rouges, jaunes et bleus qui se vide lentement de son eau.

Un carnet ouvert et un stylo rouge et doré qui écrit sur la page. Le stylo est tenu par une main aux ongles couleur brique. Une autre main (aux ongles pareillement colorés) tient les pages du carnet.

L’ombre de la plante et de la balustrade se déplaçant sur la table.

L’ombre du verre, en partie transparente et en partie opaque, qui tremble au rythme des mouvements de l’eau. Les rayons du soleil la transpercent d’un arc lumineux. 

Une voix qui s’élève de la rue, accompagnée du bruit d’un moteur et des sons que produisent habituellement des voitures sur une route.

La vision fugitive d’un pigeon. Parfois des pépiements.

Une brise fraîche qui agite : la plante, mes cheveux, le filet et le petit duvet blanc accroché au filet (et leurs ombres).

Un klaxon soudain.

La chaleur du soleil.

Un bruit d’eau qui tombe.

L’éclat rouge d’un bonnet aperçu entre les pieds de la balustrade. Maintenant que je regarde, des voitures (blanche et rouge) et une fourgonnette passent aussi dans cet interstice.

Un pépiement plus soutenu derrière moi. PiPiPi. PiPiPi. PiPiPi. Il accélère. Pipipipipi Pipipipipi. Il est presque couvert par le vrombissement d’un moteur, Un autre oiseau le rejoint. Un bruit de battements d’ailes. Pi. Pi. Pi. Les pépiements s’espacent et s’arrêtent.

Des portières qui claquent.

Un bus entier traverse l’interstice, et une voiture de police, aux pieds de la balustrade.

L’ombre de nuages très fins ou de fumée ou de vapeur qui glisse sur la table en bois.

Des bruits de scie électrique et de cartons qu’on ouvre.

Un groupe de battements d’ailes et un deuxième dans l’autre sens. Clac Clac Frou Frou et un courant d’air.

L’ombre du filet qui quadrille régulièrement la balustrade, seulement interrompu par l’ombre du duvet blanc qui frémit.

Louise B.